On croit arriver pour une dégustation. On repart avec un carnet rempli d’impressions sensorielles, une pellicule saturée d’ombres et de lignes, et ce sentiment rare que le monde peut, parfois, se mettre en pause. Bienvenue au Château La Coste, domaine hybride où l’on cultive autant le raisin que l’imaginaire. Ici, en Provence, à quelques minutes d’Aix, le luxe prend la forme d’une déambulation entre art et nature.

Il est 10h du matin. Le soleil inonde déjà les galeries minérales de Tadao Ando. En contrebas, les vignes dessinent des perspectives que Richard Serra aurait pu tracer. À l’entrée, la majestueuse araignée de Louise Bourgeois domine un miroir d’eau immobile. Elle ne bouge pas, mais semble scruter. Vous aussi, vous vous apprêtez à observer. Longtemps.
L’art comme paysage, le paysage comme œuvre
Depuis avril, Château La Coste accueille Par quatre chemins, une exposition ambitieuse coproduite avec POUSH, écosystème artistique né en Île-de-France. Trente-cinq artistes, pas moins, invités à dialoguer avec le paysage. Pas à l’orner. À le penser. Et ça change tout.

Florian Monfrini en est l’un des totems silencieux. Durant deux mois, il déplace lui-même sept tonnes de pierres, à la force des bras, construisant ses propres refuges dans le style des bories provençales. Art performatif ? Land art ? Peu importe les cases. Le geste compte. La sueur aussi.
Plus haut, on croise les étranges “trous” d’Henri Frachon, qui transforment le sol en ponctuation poétique. Chaque cavité révèle un détail oublié : une racine tordue, une brindille calcinée. Les artistes ne posent pas leurs œuvres ici ; ils les révèlent. L’invisible devient visible.

Dans l’Auditorium de Niemeyer, les antennes métalliques de Clara Imbert se dressent comme un hommage aux premières transmissions. Un clin d’œil rétro-futuriste, presque nostalgique, qui capte les murmures du vent autant que ceux de la radio. Plus loin, dans le pavillon Renzo Piano, les “Petits Reins” de Sara Favriau — assemblage d’objets glanés — réconcilient l’art et l’artefact, dans une poésie de l’usage.
Un lieu, des atmosphères
Mais La Coste ne serait pas La Coste sans ses mutations permanentes. Le domaine est une œuvre en soi, conçue par un homme : Patrick McKillen. Cet Irlandais discret a bâti ici, depuis 20 ans, un théâtre paysager à ciel ouvert, où chaque détail compte. Sur 200 hectares, l’art se glisse entre les vignes et les oliviers, les œuvres de Bourgeois ou Kapoor s’invitent comme des balises existentielles, les pavillons signés Ando, Nouvel ou Gehry ne signalent pas des directions mais des respirations.
Ici, le vin est un prétexte. Noble, certes — la cuvée argentine 100% Malbec, baptisée La Coste des Andes, en témoigne — mais il n’est plus le centre. Le centre, c’est l’expérience.
L’Auberge : le luxe de la simplicité
C’est sans doute pour cela que l’ouverture du nouvel hôtel L’Auberge, au printemps dernier, n’a surpris personne. C’était une suite logique. Installée autour d’une place aux airs de village provençal, cette adresse de 76 chambres propose une hospitalité sobre, apaisée. Les matières — bois massif, pierre claire, émaux discrets — répondent aux teintes du paysage. Les chambres, baies ouvertes sur le dehors, semblent prolonger l’esthétique du domaine.
On y dîne aussi. Parfois simplement d’un croque-monsieur chic ou d’un plat de saison partagé sur une grande tablée en bois. À d’autres moments, on se laisse tenter par une pizza vaporeuse signée Vanina ou une création du feu sacré de Francis Mallmann. Tout est affaire d’humeur. Comme dans une galerie, on passe d’un registre à l’autre.
Plus qu’un domaine, un manifeste
Château La Coste n’est pas un centre d’art. Ce n’est pas non plus un hôtel, un restaurant ou un vignoble. C’est tout cela, et plus encore. Une sorte de manifeste à ciel ouvert, qui affirme qu’on peut vivre autrement le luxe, autrement la création, autrement le paysage. Pas comme décor, mais comme moteur.
Et dans un monde saturé d’images et de lieux “instagrammables”, La Coste a choisi la densité. Celle du silence, des matériaux, des gestes lents. Celle aussi d’un regard qui, l’espace d’une visite, devient autre. Plus aigu. Plus humble.
Il faut parfois se perdre pour mieux voir. À La Coste, cela devient une philosophie.
