Il est des lieux qui traversent les siècles, et des hommes qui les inscrivent dans l’époque. Le Grand Véfour appartient aux deux catégories. Après trente-quatre années passées aux commandes de cette institution nichée au cœur des jardins du Palais-Royal, Guy Martin s’apprête à tourner la page. Une décision annoncée sans fracas, effective au 31 décembre, mais chargée d’une émotion palpable : celle qui accompagne toujours la fin d’une grande histoire.
Arrivé en 1991, le chef n’a pas seulement dirigé une maison mythique : il en a redéfini l’âme. Sous son impulsion, le Grand Véfour a retrouvé toute la noblesse de son héritage, celui d’un ancien café révolutionnaire devenu, au fil des siècles, l’une des tables les plus emblématiques de Paris. Cuisine vive, élégance assumée, précision du geste : Guy Martin a hissé l’adresse au sommet, décrochant trois étoiles et installant durablement le restaurant parmi les grandes tables mondiales.
Reconnu par ses pairs comme l’un des chefs majeurs de sa génération, sacré Chef de l’année, distingué en France comme à l’international, élu meilleur chef du monde au Japon en 2019, il a porté haut les couleurs de la gastronomie française. Mais au-delà des récompenses, c’est peut-être son rapport au lieu et aux gens qui aura le plus marqué.
Car au Grand Véfour, l’accueil était un art à part entière. Midi et soir, Guy Martin se tenait à la porte, recevant personnellement les convives venus célébrer un anniversaire, un mariage, une rencontre décisive ou simplement le plaisir d’être ensemble. Pour beaucoup, cette maison s’est inscrite dans leur histoire intime autant que dans le patrimoine parisien.
Au fil des décennies, le restaurant est devenu un point de convergence rare, fréquenté par des présidents, des artistes, des écrivains, des architectes, des figures de leur temps. Tous venaient chercher cette émotion singulière, faite de justesse, de générosité et d’humanité — une signature profondément martinienne. Fidèle à ses équipes, le chef a instauré un esprit de transmission exigeant, considérant chaque membre de la brigade comme un maillon essentiel d’une aventure collective.
Aujourd’hui, Guy Martin quitte la maison qu’il a servie avec constance, exigence et passion. Il se dit serein, confiant dans l’avenir du Grand Véfour, convaincu que ce lieu continuera de rayonner. Ce départ n’a rien d’un retrait. D’autres projets l’attendent, en France comme en Italie, où il poursuit avec la même énergie cette curiosité gourmande qui ne l’a jamais quitté.
Car la trajectoire de Guy Martin dépasse largement les murs du Palais-Royal. Passé par les grandes maisons Relais & Châteaux, ancien chef du Château de Divonne, chef ambassadeur pour Air France depuis plus de vingt ans, collaborateur de compagnies aériennes, de groupes internationaux, auteur prolifique, conseiller, enseignant, créateur de lieux et de concepts, il a construit une œuvre plurielle, influente, profondément contemporaine.
Engagé également sur le terrain associatif et humanitaire, parrain de plusieurs initiatives solidaires, il a su conjuguer excellence culinaire et responsabilité. En Italie, il développe aujourd’hui des projets personnels, entre vin biologique dans le Salento et restauration de palais historiques transformés en maisons d’hôtes, prolongeant autrement son goût pour le beau, le bon et le durable.
Quitter le Grand Véfour, ce n’est pas refermer un chapitre : c’est en souligner la portée. Après trente-quatre ans, Guy Martin laisse derrière lui bien plus qu’une table étoilée. Il laisse une empreinte, une manière d’être chef, une vision profondément humaine de la haute gastronomie. Et cela, aucun passage de relais ne saurait l’effacer.
